Nocturne réunit deux danseuses et un pianiste. C'est une histoire féminine de désir et de silence sur 7 nocturnes de Chopin.
Une pièce pour trois interprètes
CRÉATION 2006, Cie les souliers
rouges
DURÉE ESTIMÉE : 50 mn
CHORÉGRAPHIE ET MISE EN SCÈNE : Nadia Vadori Gauthier
AVEC : Marjorie Hertzog, Céleste Pellissier
AU PIANO : Michel-Ange Moreno
CRÉATION GRAPHIQUE : Laurence Gaignaire
Création le 27 Avril 2006 au Plateau 31 à Gentilly.
Depuis l’enfance, depuis les préludes du travail à la barre de quinze années de danse classique, je vis avec cette musique. Plus tard, je découvre les nocturnes et les polonaises. j’écoute Chopin comme on écoute du Rock and Roll ou un solo de guitare électrique. Il y a, dans les nocturnes, une violence, une fantaisie, la passion de la jeunesse, on est loin d’un romantisme de façade.
S’il est vrai que nous sommes des êtres tissés de désir, alors, quand nous désirons, nous épousons l’étoffe même de notre être et cet élan nous déploie.
Nous sommes tous étrangers, en transit dans la chair, dans un présent terrestre, confrontés à une matière qui nous résiste. Le désir met cette inertie en mouvement, il donne des envies
constantes de traduction, de lien, de battement de cœur. Le désir est l’impulsion même de la vie. Que faisons nous ici, incarnés, en rythme, sinon de tenter d’impulser la danse, l’élan qui nous
entraîne les uns vers les autres et nous sépare avec le reflux, de faire entrer une énergie lumineuse dans les trous noirs de la densité matérielle? La passion qui parfois nous anime et qui, dans
son mouvement, nous entraîne vers un autre, engendre une émotion intense. Seulement voilà, ce n’est pas aussi simple que cela, les niveaux du réel sont multiples et des jeux de miroirs nous
mettent en abîme. Cette réalité d’amour qui est la nôtre est parfois, pour l’autre, chimérique. On croit être dans le même espace alors que c’est un reflet qui apparaît.
Dans cette pièce, il est question de l’élan incompressible qui nous porte vers un autre et de la violence du silence. Sur scène deux femmes composent avec le feu qui les traverse. Elles affrontent l’immensité d’un monde déserté du corps d’un autre.
Les Nocturnes sont comme les cahiers intimes de l’écrivain ou les dessins secrets du peintre. Leurapparente instantanéité recèle des niveaux de
sens éludés, souterrains, une vérité de l’être.
La présence d’un pianiste sur scène témoigne de ce rapport solitaire et secret à soi-même.
Nocturnes joués sur scène:
Opus 9 n°2 - Opus 37.2 n°12 - Opus 15 n°13 - Opus posthume n°21 - Opus 9 n°1- Opus 48.1 n°13 - Opus 55.1 n°15
Moni Grégo, avril 2006.
J’aime la danse. Je l’ai en moi. Or, mon expérience de spectatrice me montre que la danse représentée atteint rarement cette danse que tous, nous avons en nous. Le plus souvent nous sommes devant des sortes de faux insectes, des drôles d’humains asservis à des codes, à des gesticulations fades et reconnaissables, à des exhibitions plus ou moins provocatrices… mais nous nous retrouvons si rarement, à mon sens, devant cette évidence de la sensation de liberté d’un corps qui dépasse les contraintes habituelles pour nous émerveiller d’être en mouvement.
Aucun mot ne dira la danse lorsqu’elle est là, prenant tout le corps dans son dire, vibrant vers des gouffres invisibles, les figurant à en frémir, n’y tombant jamais…
Lorsque l’élan d’une jambe nous coupe en deux, lorsque tout l’espace chavire avec des corps qui semblent n’obéir à aucune loi de la gravitation, lorsque tout peut s’emmêler et se démêler magiquement, et que l’on va comme dans l’onde, d’une friche désordonnée à une architecture stricte, d’une forme à un affolement… la danse règne !
Ces “Nocturnes“ par la chorégraphie de Nadia Vadori, figurent à la fois comme un tâtonnement qui sculpte l’air ambiant, et aussi comme une intériorité poétique, un doute incarné par les liens impalpables de ce trio d’interprètes : un homme et deux femmes pour tenir ensemble l’offrande de la musique et la danse. Mais pas n’importe quelle musique ou n’importe quelle danse, de celles à qui la parfaite connaissance des classiques donne des ailes pour inventer.
Et nous sommes touchés, et nous nous sentons physiquement proches, liés à ces mouvements, ces silences, ces bruits, ces immobilités. Nous dialoguons dans une langue inconnue que nous apprenons au fur et à mesure, par le déroulement de la représentation, par l’éloquence mystérieuse des interprètes.
Les romantiques comme Chopin osaient dire au monde que sans engagement physique, sans élargissement des sensibilités, rien ne vaut la peine, que le corps ira jusqu’au bout de ses passions, que la raison aimera créer des formes nouvelles, qu’aucun désespoir ne saura remettre en cause la folle joie d’être au monde, jeune, vivant !
Nadia, avec ces deux danseuses, ce pianiste, avec toute l’équipe de sons, et de lumières… vous nous ouvrez les yeux devant la diversité de tant de possibles, vous la faites chanter en nuances mieux que personne et l’on frissonne devant la qualité féline de ces présences libres, devant l’infini clavier de leur vitalité… Là où d’autres pourraient ne voir que contradictions entre un modèle de Balthus et un de Maillol, vous faites vivre l’harmonie des corps féminins, leur beauté immense, leur vibration jusqu’à la fibre même, jusqu’à la tessiture de peau qu’elle soit éclairée ou saturée, ou même dans l’ombre mais VUE !
Le réel de ces “NOCTURNES“ est toujours neuf, insolent, riche d’éclats, de déflagrations. Il ne nous laisse pas indemnes, nous les spectateurs.
Musique, bruits, danse, classique, et jamais vu, insolite et proche. C’est un univers aigu et personnel, à la fois très construit et comme jeté vers nous, plein d’élan, d’un élan profond qui rejoint un geste universel. Une vision, un poème, un chant d’amour… d’amour de ce qui est physique mais aussi d’amour de l’esprit, d’amour de la présence à ce qui est invisibles, d’amour du présent violent, de l’intouchable tentant. Une danse du désir qui trouve des chemins nouveaux comme jamais. Liberté troublante que ce face à face avec la chair, cette fiction vivante…
Une jambe longue et haute, un bras délié, plein d’esprit et de jeu, un dos ensorcelé de muscles fins… et l’on se souvient qu’il y a des heures à passer pour que ces corps en
disent autant, des heures de travail et de plaisir, des heures d’apprivoisement de la fatigue, de la peur, des heures de soulèvements et de grâce, de ces moments d’insurrections épuisées,
d’extases désincarnées. Comment dire que cette chair si parfaitement humaine est aussi comme intouchable, désincarnée ?… Comment dire, alors que la sueur perle, que le souffle s’entend, le
charme de cette mise en fiction opérée dans le même instant?… Célébrer ce miracle des corps vivants aussi propres à devenir musiques, contes, légendes sans fin…
Cet espace de la fiction créée pierre à pierre, note à note, pied à pied, pause à pose, soupir à respiration, oui, même les respirations sont orchestrées et Nadia Vadori est
comme un grand compositeur. Longue est la liste des portées qu’elle rédige signe après signe, tâtonnement après tâtonnement, avec cette lucidité aveuglée, aveuglante, des poètes… Et Nadia est
aussi un grand chef d’orchestre, un maestro hors de portée mais si présent dans la mise en jeu de toute cette aventure.
(...)
Pieds, pompes, chaussures, pointes, actrices-danseuses, danseuses-danseuses, femmes-danseuses, femmes hybrides, êtres futurs, nous initiant à l’inconfort si plein de charme de l’entre deux, de cet écart si nécessaire pour atteindre un peu plus de réel, de ce réel qui va si vite et qui travaille dans les corps, les devançant, encore plus fantastique et moléculaire que la constitution de la “femme qui marche“ de Giacometti.
Présences puissantes, assurées, portées, porteuses, avec lesquelles nous tous nous devrons “faire“ désormais, loin des clichés, des archétypes, des prototypes, des stéréotypes, des images d’épinal, des cruches, des potiches.
Puissance féminine. Non pas par la présence admise du masculin dans le féminin, non, aucune virilité ne ressemble à la puissance féminine. En cela, l’androgynie des deux actrices danseuses, joue non plus comme le ferait un andro-gyne, une dualité, une coupure où chacun trouverait son compte tour à tour, mais bien comme une totalité, une plénitude, qui ne souffrirait pas qu’on l’écorche, qu’on la divise, ni même qu’on la mette à l’épreuve puisqu’ELLE EST LÀ, ENTIÈRE, ENTIÈREMENT. COMPLÉTUDE, INTENSITÉ, INTÉGRITÉ…
Merci pour l’émotion à fleur de peau devant la maîtrise solaire de cette fresque nocturne.
Merci d’aller vers le doux scandale d’OSER !