PERFORMANCES, EXPLORATIONS SOMATIQUES ET VIDÉO

une pratique de la sensation

morning rain. 2010
morning rain. 2010

Ma pratique de la vidéo participe du même mouvement que celui qui me fait danser, c'est à dire d'un continuum hétérogène de sensations entrelacées, naissant dans l'instant de l'expérience. Comme une danse en perpétuelle métamorphose qui toujours se déroule, les images vidéographiques s'écoulent pour moi dans un flux numérique, agrégat plastique de couleurs et de textures, c'est à dire de matériaux d'affect. Mon médium artistique d’expression est principalement la performance, par nature éphémère et non reproductible. La vidéo m'accompagne parfois comme une boîte noire qui, même si elle ne peut enregistrer l’expérience réelle, capture une part de ses données visibles, une part optique qui m'échappe justement. Son action s'inscrit dans l'instant de l'événement, mais déjà elle agit comme une seconde temporalité qui se se superpose à la durée vécue et qui la transcode. Elle conserve une trace du flux temporel chronologique doublant numériquement une multiplicité achronologique interne, une mémoire corporelle subjective, multidimensionnelle, non codée, qui échappe à toute image et ne saurait être capturée. 

Je trouve dans la vidéo, un médium basé sur la sensation, le temps et le mouvement. Je travaille la matière. Je me fonds dans les couleurs, la lumière, les textures, j'aime les superpositions, les trouées, les transparences, les différences de vitesses et de lenteurs. je travaille à partir de mes sensations et de ma mémoire corporelle. J'essaye de trouer le visible, de le mêler d'invisible, comme lorsque je danse. La vidéo est immatérielle et matérielle. la vidéo, pour moi, est corporelle. En investissant comme base du travail la matière fluidique du corps et des cellules, j’ai constaté que j’entrais différemment en résonance avec les lieux et les choses. Je trouve une alliance vibratoire avec les matériaux.

 

Monochromes, matériaux corps ...

Lors de mes explorations en solo entre 2006 et 2010, je faisais des expériences que d’autres artistes avaient faites avant moi : comme Kazuo Shiraga en 1955, artiste du groupe Gutai, je me roulais dans la terre pour peindre avec mon corps ; comme Anna Halprin le fait depuis les années 1950, j’explorais la relation de mon corps aux éléments naturels ; comme Yves Klein dans ses Anthropométries en 1960, j’enduisais mon corps de peinture monochrome. J’allais intuitivement vers ce avec quoi j’entrais en résonance : la couleur, les éléments, les textures. Ces explorations m’ont progressivement conduite à aborder mes processus artistiques par la sensation des fluides de l’organisme et de la respiration cellulaire des tissus. Cela induit une base mouvante permanente à partir de laquelle entrer en dialogue avec les éléments, par impression, par porosité. La peau et sa dimension tactile sont particulièrement activées. Cette oscillation mouvement-toucher rythme ma relation au milieu dans lequel je me trouve. Cette pratique m’a conduite à faire alliance avec des éléments minéraux (la pierre, l’air, l’eau), des éléments végétaux et animaux. Mon corps excédait sa propre forme organique pour s’agencer à son milieu sur un mode vibratoire, presque musical, formant des accords ou des dissonances. La vibration, c’était également la lumière, l’espace, et la couleur. Entre 2006 et 2010, ces explorations étaient faites en vue de films vidéo que je réalisais. Ces sessions se déroulaient essentiellement dans des environnements naturels.

J’ai commencé par faire une série de films monochromes (rouge, blanc, rose, violet, or…), puis j’ai continué par la série Matériau corps qui regroupe une vingtaine de films ). Les séries Monochrome et Matériau corps ont fondé ce qui plus tard est devenu avec le Corps collectif : La Meute et la série de films Monochrome animal. Le mode de corporéité liquide, s’agençant principalement par résonance fluidique à ce qui l’entoure, est devenu une base de mes fonctionnements. Il fonde mes processus de création et la nature des relations que nous établissons avec le public dans le cadre des performances.

La dimension fluide du travail a modifié progressivement mon rapports au monde et mes façons d’entrer en contact ou en dialogue avec une musique, un espace, un matériau et bien sûr, une personne. Dans certains films tels que  Vibration que j’ai réalisé en 2011 avec le Corps collectif. J’ai tenté de rendre en vidéo la sensation de résonance vibratoire fluide que j’avais lors des explorations en milieu naturel. On peut voir que certaines zones des peaux sont transparentes ou trouées pour laisser apparaître des mouvements d’eau.


Composer avec des parts informulées

Dans mes pratiques somatiques de danse et de performance, il s’agit pour moi de composer avec des parts aveugles ou informulées, de défaire sans cesse l’image au fur et à mesure qu’elle se compose. Dans un second temps, lorsque je travaille l'image video, je tente d'agencer ces différentes temporalités convoquant au présent du montage, la mémoire sensorielle et affective de l'expérience. Je modifie la trace numérique à partir de foyers de mémoire et de puissances d'affect qui puissent la transformer, la défaire en partie, l'augmenter d'une part d'indéfinissable, comme les Saharas que le peintre Francis Bacon ouvre dans les visages, défaisant les traits de reconnaissance, y créant des espaces d’intensités informulées. Je tente, au moyen d'outils numériques et artificiels, de recomposer la nature première de sensation, de retrouver la part d'intensité et d'incertitude de l'expérience vécue, afin de produire ou de recréer une dimension aveugle et sensible de l'expérience dont l'image ne peut rendre compte. Je m'engage dans l'entreprise paradoxale de défaire l’image afin de rendre visible ce qui n'a pas d’image. Mais aussi, je tente de créer ce qui n'existe pas encore : des devenirs autonomes de l'image et de l'expérience, que je ne peux prévoir à l'avance. Il s’agit pour cela de soumettre l’image à des forces (rythmes, altérations, superpositions, mouvements chromatiques, transparences, saturations…), de la trouer, laissant sourdre dans ses béances des images fluides placées en dessous comme des sources souterraines ou des coulées de lave. Les images m'échappent, elle conquièrent une autonomie plastique qui ne se limite plus à ce qu’elles montrent. Elles convoquent des ailleurs illocalisables et indéfinis qui pourront ensuite rencontrer des singularités, des constellations de regards et de corps avec lesquels ils entreront plus ou moins en résonance, au présent de la projection des films, créant peut-être même des mondes en ceux qui les regardent. C’est cela que je tente de faire lorsque je conjugue les temps, à la fois dans mes danses et dans mes films, altérant la matière des images numériques à partir de résonances kinesthésiques, de fragments de mémoire et d’une part informulée ou inconsciente qui devient visible, se créant en temps réel, donnant une autonomie aux images et se laissant mouvoir par elles. Cette pluralité des temps internes, qui passe par une hétérogénéité vibrante de sensation défaisant l’image dominante, participe pour moi d'une dimension multiple, mouvante et kaléidoscopique de l'existence, qui comme chaque instant de nos corps et de nos vies, ne cesse différer d'elle même, nous créant à chaque fois singuliers, au fur et à mesure que nous devenons autres.


Les films :

 

Films avec le Corps Collectif

Ces films ont été faits entre 2010 et 2014 :

Matériau corps

Films faits entre 2009 et 2010 :

  • monochromes
  • Autres films : vertébral, la piscine, polychrome vert, le jardin bleu, l'orage, continnum, émergence du feu, cortisone, 2010.

Films moléculaires

  • Neuronal, 8 films abstraits sur 8 pièces de musique atonale, 2009.
  • After Atomix, 2010.

 

Appartements 

Ces films ont été faits entre 2007 et 2009 avec Bruno lasnier et Sébastien Trouvé.